historieta

Au début du 20ème siècle, la bande-dessinée argentine voit le jour en s’inspirant du dessin humoristique européen, mais en inventant un nouveau style : la "historieta". Elle dépeint les quartiers populaires de Buenos Aires et s’amuse des tensions sociales entre leurs habitants. Dans les années 1920-1930, les premières séries arrivent, avec pour thème central les efforts maladroits des petits bourgeois pour afficher leur réussite sociale. Ce sont alors les family strips nord-américains de la même époque qui influencent la historieta. À la fin de cette période, l’arrivée de nombreux expatriés, à l’Espagnol souvent teinté d’Italien, tourne le regard des auteurs vers les conventillos, ces habitats collectifs des quartiers populaires mélangeant les origines.

Vers 1930, la bande-dessinée d’aventure s’installe en Argentine. On fait d’abord venir les exotiques BD d’Europe et des États-Unis, mais les auteurs nationaux feront rapidement eux aussi dans l’épique et le romanesque. Le dessin, plus réaliste et académique, contraste avec la jovialité et la rondeur des personnages de la historieta. La narration devient plus importante et le domaine plus sérieux. La historieta, tout en restant humoristique, cherche alors à développer plus d’inventivité et touche à des questions politiques et sociales plus profondes que ce que l’on peut trouver dans d’autres pays à cette période. La décennie 1940 est ainsi l’âge d’or de la bande-dessinée argentine : les magazines spécialisés se multiplient et se vendent comme des petits pains.

Dans les années 1950, elle devient un vrai marché. Si les Argentins continuent à lire des BD venues de l’étranger, notamment d’Italie, ils sont de plus en plus attirés par les œuvres dont l’histoire se déroule dans l’Argentine qu’ils connaissent. Plusieurs auteurs choisissent alors de venir s’installer à Buenos Aires : Hugo Pratt, l’Italien, rencontre Héctor Germán Oesterheld, l’Argentin. Il révolutionneront le fond de la bande-dessinée argentine. Jusqu’alors, pour rester familiale, elle s’interdisait de parler de sexe, de violence ou de rire des pauvres. Cette bienséance et ce manichéisme, qui ne permettent pas d’aborder des thèmes plus personnels, resteront les bases de la historieta attachée aux phénomènes sociaux, tandis que la bande-dessinée d’aventure prendra un tournant plus nuancé, développant les conflits internes des personnages.

Des années 1960 aux années 1980, les coups d’État et l’instabilité politique font chuter le marché de l’édition et la censure est partout. Les auteurs qui émergent alors sont plus contestataires politiquement et souvent plus libres graphiquement : Breccia, Quino et Copi (d’origine uruguayenne). C’est à cette période que la historieta commence à être prise au sérieux à l’étranger. Elle est étudiée comme phénomène social et artistique : on monte de grandes expositions et on publie les premiers travaux académiques sur ce thème.

Après la dictature, à partir de 1983, la bande-dessinée d’aventure reprend le dessus, mais les années 1990-2000, marquées par la crise économique, font à nouveau chuter le marché. L’autoédition, les revues éphémères et les collectifs (comme La Productora), fleurissent alors. Mais beaucoup d’auteurs partent aussi à l’étranger, notamment en Amérique du nord, travailler pour de grosses entreprises de comics ou pour des journaux. En Argentine, on réédite les classiques, valeurs sûres et écho aux problèmes contemporains.

Depuis quelques années, la bande-dessinée argentine s’offre une seconde jeunesse, grâce aux blogs et sites internet, qui mettent en valeur cette culture locale de la historieta. Les nouveaux dessinateurs et scénaristes (Lucas Nine, Diego Agrimbau, Gabriel Ippóliti, Lucas Varela, Pablo Túnica, Jorge González) peuvent ainsi publier en France ou en Espagne, poussant des maisons d’édition argentines à s’intéresser à eux. La presse quotidienne a aussi remis au goût du jour les dessins humoristiques. Et la presse bolivienne suit, en nous offrant Mafalda.

La qualité artistique de ces nouveaux albums est élevée, et plus qu’ailleurs on puise dans le cinéma et la musique pour construire ses histoires. La parodie à la sauce argentine garde un certain succès, malgré l’arrivée en masse de nouveaux super-héros états-uniens et des mangas japonais.